jeudi 22 août 2013

Colin-maillard avec les fantômes

The Conjury de James Wan

L'avenir d'Hollywood serait-il dans les films d'horreur à petit budget plutôt que dans les blockbust(i)ers, ces films à grosse poitrine qui se révèlent souvent bourrés de silicone ?
C'est en tout cas la question qu'on pourrait se poser en voyant sortir, juste après The Purge, un autre film d'épouvante bien fichu, et en passe de se tailler un beau succès au détriment des grosses productions estivales.

Non pas que ce type de film soit exempt de défauts, le pire étant sans nul doute l'inévitable mention "inspiré de faits réels", qui agace toujours les sceptiques comme moi, parce qu'elle manque à la fois et de véracité et d'efficacité.

Dans le pire des cas en effet, le lien entre les "faits réels" et la fiction est plus ténu qu'un fil d'araignée : les connaisseurs savent parfaitement par exemple que l'influence du cas Ed Gein sur les romans de Robert Bloch (Psycho) et de Thomas Harris (The Silence of the Lambs), et donc par contrecoup des films célèbres qui en ont été tirés, est plus marginale que décisive.
Dans le meilleur des cas, comme celui qui nous occupe ici, ce sont les "faits réels" eux-mêmes qui posent problème.
Toute personne mieux informé qu'un critique de cinéma lambda (par exemple, un lecteur de l'Encyclopédie des fantômes et des fantasmes du Jérôme Noirez) sait que tous les cas de maisons hantées dénichés par les "enquêteurs paranormaux" Ed et Lorraine Warren sont des canulars caractérisés, depuis Amityville jusqu'à Southington.
Du reste, si Lorraine Warren (qui a été "consultante" sur le film) était vraiment médium, nul doute qu'elle aurait concouru pour le prix de 1 million de dollars offert par l'illusionniste James Randi à qui fera devant lui la preuve d'un phénomène paranormal...

La mention "d'après une histoire vraie" est donc clairement mensongère, mais ce n'est pas tout : elle va à l'encontre du principe fondamental de toute fiction, à savoir la fameuse "suspension volontaire d'incrédulité" chère à Coleridge, et risque donc d'empêcher le spectateur de profiter pleinement de ce qu'il voit, en se posant des questions sur l'authenticité de telle ou telle séquence.
Qui plus est, comme l'a fait remarquer en son temps Lovecraft, seuls les sceptiques peuvent vraiment prendre toute la mesure de l'horreur qu'il y a à voir se manifester dans le monde des forces qui n'y existent normalement pas (au contraire des croyants qui ne seront pas surpris de voir surgir le Diable) : prétendre donc que les fantômes existent vraiment, c'est affaiblir la force de son histoire.

Ca, c'est la théorie, mais en pratique, l'origine douteuse de l'histoire gâche-t-elle le film ?
On pourrait le craindre en voyant James Wan mettre dès le départ en avant le couple de chasseurs de fantômes, dans un prégénérique rappelant Peeping Tom, le chef d'oeuvre méconnu de Michael Powell, pour la mise en abyme du dispositif cinématographique.
Sauf qu'on se rend peu à peu compte que le choix de cette narration parallèle entre la famille des victimes et la famille des enquêteurs permet de rendre ces derniers plus vivants, en nous montrant les répercussions de leur travail sur leur vie privée.
Du coup, le film évite la baisse de régime qui survient toujours à l'apparition ex nihilo d'enquêteurs venus sauver une famille en danger, sans recourir à l'autre schéma classique du genre, celui des chasseurs de fantôme présents depuis le départ dans la maison hantée (un modèle emblématisé par le célèbre roman Hantise de Shirley Jackson).

En fait, le film monte si bien en puissance (suivant le schéma décrit par nos enquêteurs dans une de leurs conférences : infestation ; oppression ; possession) que certains critiques, comme Romain Le Vern pour LCI-TF1, ont crié à la surenchère, allant même jusqu'à parler de Grand-Guignol.
Ce qui est d'autant plus drôle que le film est plutôt fidèle en effet aux préceptes du vrai Grand-Guignol (celui d'André de Lorde), dont les drames installaient tous un climat de plus en plus oppressant pour finir par une scène forte, pas nécessairement sanglante (comme on peut s'en rendre compte en lisant l'anthologie qu'Agnès Pierron à consacré à ce théâtre hélas méconnu).
Mais bon, je l'ai déjà dit plus haut, les critiques de cinéma ne lisent pas, et croient que "Grand-Guignol" est un synonyme chic de "gore"...

Ceci dit, le film, pour être apprécié, demande quand même à ce qu'on accepte certaines thématiques classiques du genre, comme le caractère mélodramatique des sentiments mis en jeu, mais aussi et surtout l'imagerie religieuse à la William Peter Blatty (un des trois auteurs à avoir lancé la Nouvelle Vague Horrifique dans les années 70 avec son roman The Exorcist, à l'origine du film qu'on sait).
(Au passage, notez que cette imagerie s'accompagne d'une conception de l'exorcisme quelque peu éloignée de la réalité, mais évidemment on n'est plus à ça près avec ce film.)

Pour résumer : si ce film était un documentaire, il serait des plus douteux (quoique bien réalisé), mais en tant que fiction il remplit parfaitement son rôle, qui est de réussir à vous dégoûter définitivement de jouer à colin-maillard avec vos enfants...


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