jeudi 20 mars 2014

La petite joueuse de flûte de Hamelin

Dark touch de Marina De Van

Oyez, oyez, braves gens, voici que débarque en salle un deuxième film passé par le festival de Gérardmer, et auréolé d'un Narcisse du meilleur film, décerné au festival de Neuchatel par un jury qui comptait en ses rangs Jean-François Rauger, le "monsieur cinéma bis" de la Cinémathèque française.
Autant de raisons de suspecter un bon film et d'ignorer les critiques frileux qui, quoique le comparant (non sans raison) à Carrie (dont il se rapproche indiscutablement par la thématique) ou aux films d'enfants diaboliques des années 70, lui reprochent son moralisme, si, si.

S'il est vrai que par sa nature même le genre fantastique touche souvent à la morale (dont il interroge les limites, voire les fondements), il est hélas tout aussi vrai que les critiques qui connaissent mal ledit genre ont une fâcheuse tendance à prendre au pied de la lettre tout ce qu'ils voient (et à oublier qu'un film est avant tout juste une histoire, pas un manifeste)...
C'est ainsi qu'en parlant de son film The Secret à la Cinémathèque, Pascal Laugier déplorait que les critiques aient cru que le discours psychotique de son personnage principal contenait le sens ultime de son film.
En vérité, thématiquement parlant, le film de Marina De Van se rapproche tout autant de Babycall de Pal Sletaume, ou même de Mystic River, pour les errances nocturnes de son héroïne à la recherche d'une éventuelle compensation et/ou vengeance - une référence qui n'est pas aussi gratuite qu'elle en a l'air, parce que l'ambiance du film est tout aussi mélancolique que dans un bon film noir.

Comme le montre la mise en scène (très fluide, et multipliant les raccords regard), la réalisatrice cherche avant tout (et y réussit) à nous faire comprendre le point de vue de l'héroïne - d'où d'ailleurs un certain suspense psychologique, puisque nous voyons ses parents d'adoption lui adresser sans le savoir les mêmes phrases délétères que ses vrais parents.
Par exemple, en montant le plan d'un homme ouvrant un réfrigérateur avec celui d'enfants conduits dans le cellier par leur mère, Marina De Van nous donne l'impression que le réfrigérateur donne dans le cellier, et donc que le père, qui tire sur sa boucle de ceinture qui le gêne, va la dégrafer pour punir ses enfants.
On comprend dès lors les fausses interprétations qui peuvent traverser la tête de l'héroïne traumatisée, et comment elle va réagir (excessivement) en usant de son pouvoir télékinétique : autrement dit, aucune violence n'est vraiment gratuite dans le film, contrairement à ce que certains critiques laissent aussi entendre.

Mais ce qui achève définitivement de faire de ce film une oeuvre forte, et à l'éloigner des canons usuels du petit film d'horreur hollywoodien, ce n'est pas le refus de finir par un happy end ou de donner trop d'importance aux forces qui pourraient ramener un semblant d'équilibre (même si les scènes avec l'assistance sociale sont magnifiques), c'est son onirisme.
Je n'entends pas par là que le film multiplie les scènes de rêves (il n'y en a guère qu'une, toute petite, dans le film), mais qu'il intègre la logique de l'absurdité onirique dans le cours même de l'intrigue (dans un processus très kafkaïen).
Avec deux idées de base très simple (l'instinct grégaire des enfants et l'imitation des adultes par les enfants), Marina DeVan réussit à nous donner l'impression d'être soudainement plongé dans un cauchemar - et donc par contrecoup à nous faire comprendre l'état d'esprit halluciné dans lequel se trouve son héroïne.

Ambiance onirique et mélancolique et mise en scène au service des personnages (sans parler de l'excellente musique de Christophe Chassol et de la non moins excellente interprétation de la jeune Missy Keating), le film de Marina De Van vaut largement son Narcisse - même s'il décevra la triste race des bouffeurs de pop-corn et de bandes-annonces (du moins si j'en juge par la réaction de mes compagnons de séance).


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