Trap Street de Vivian Qu
De la productrice de
Black Coal, on attendait évidemment un bon film avec une ambiance sombre...
Et on n'est pas déçu, même si elle lorgne plus vers le thriller paranoïaque que le film noir (et elle lorgne seulement, le film ne pouvant heureusement se réduire à cette étiquette, notamment parce qu'il ne fait pas dans le spectaculaire).
L'intrigue est simple : Qiuming Li est stagiaire dans une entreprise de cartographie le jour et fournisseur de matériel d'espionnage illégal la nuit.
Ces deux vies apparemment incompatibles vont commencer à se rejoindre le jour où il aperçoit une jolie fille s'engouffrer dans une rue qu'il est impossible de cartographier (pour raison d'état, ce qu'il va mettre du temps à comprendre).
Cette mystérieuse allée de la Forêt qui n'est sur aucun GPS va se refermer sur lui comme une plante carnivore (c'est la rue piégée du titre, qui a au fond peu à voir avec ces
fausses rues que tracent les cartographes sur leurs plans pour dépister d'éventuels plagiaires).
A voir Qiuming Li se débattre dans un système bureaucratique qui l'accuse à tort (et va faire de lui un de ces zombies qu'il massacrait à la pelle dans ses jeux vidéo), on pense évidemment au
Procès de Kafka, dont le film offre en effet une version contemporaine très réussie (du reste, aussi bien Jean-François Rauger pour
le Monde que Pierre Haski pour
Rue89 l'ont bien noté).
Mais il y a une autre référence, tout aussi prégnante : l'Orwell de
1984.
Le labo 203 dont Qiuming Li s'approche un peu trop fait évidemment penser à la salle 101, et comme dans le monde régi par Big Brother le système paranoïaque érigé par le Parti empêche Qiuming Li de vivre une relation amoureuse normale (raison pour laquelle sans doute Nicolas Didier dans
Télérama n'a pas trouvé sa romance crédible).
Comme
1984, le film est donc le récit d'une aliénation, d'une transformation de l'humain en mécanique par une société répressive - c'est une parabole, mais applicable à la société chinoise contemporaine...
Pour décrire cet itinéraire mental, Vivian Qu adopte bien entendu le point de vue de Qiuming Li, mais en change parfois ponctuellement, pour mieux souligner son propos.
C'est ainsi qu'elle prend parfois le point de vue de la fille pour mieux accroître l'intérêt du spectateur (un changement que n'aurait pas renié le Hitchcock de
Vertigo).
Surtout, à des moments bien précis, elle adopte le point de vue désincarné d'une caméra de surveillance (et d'une façon qui aurait peut-être rendu Hitchcock perplexe pour le coup), et c'est peut-être là le parti pris esthétique le plus caractéristique du film, parce qu'il nous montre comment la société voit Qiuming Li, et à quoi elle va le réduire (un corps à espionner).
Attention, vous risquez de devenir comme
ce qui vous regarde : ce serait là la morale de ce petit bijou orwello-kafkaïen (si tant est qu'il faille lui en trouver une).