Dark Skies de Scott Stewart
Les jugements contradictoires suscités par ce film, que Romain Le Vern, le critique de LCI-TF1 est allé jusqu'à traiter de "nanar", sont bien résumés par la bataille auquel il a donné lieu dans le dernier Mad Movies, lequel hésitait entre les notes de 2 et 4 sur 6. Un flottement qui se résout aisément, à mon sens, si l'on considère le projet esthétique qui sous-tend à l'évidence ce film.
Quiconque a déploré avec moi la mort récente du génial Richard Matheson sait que dans les années 50 la seule façon pour un écrivain fantastique de continuer à illustrer son genre favori était de changer ses monstres en mutants et ses fantômes en extraterrestres, histoire de faire des concessions à la mode de la science-fiction (ce qui, au passage, montre bien que les oeuvres qu'on affuble de ce vocable sont loin de constituer un genre : comme l'a montré Joël Malrieu dans son livre sur le fantastique, une accumulation de thèmes ne suffit pas à définir un genre).
Et c'est visiblement dans ce courant que Scott Stewart a décidé de s'inscrire, comme le montre la reprise d'un effet cinématographique qui avait fait en son temps la renommée du film de Jack Arnold It Came from Outer Space (inspiré d'un autre grand écrivain de cette période, Ray Bradbury) : filmer une scène du point de vue d'un extra-terrestre en l'accompagnant d'une musique discordante censée traduire son intériorité radicalement différente.
Une fois ôtés ces oripeaux science-fictifs (qui, a bien y réfléchir, sont d'ailleurs plus fantasmatiques que scientifiques, vu que nous ne connaissons à ce jour aucune autre espèce pensante dans l'univers, et que s'il y en a une, elle ne se présentera sûrement pas sous la forme anthropoïde et grisâtre qui est la sienne dans le film), on découvre une ghost story tout ce qu'il y a de plus jamesien - une énième variation sur Turn of Screw donc.
Tous les ingrédients sont là : une figure maternelle en crise (doublée ici d'une figure paternelle qui ne s'éclipsera pas autant que celle mise en scène dans Mama), deux enfants au destins divergents, et bien sûr des fantômes se jouant des alarmes - tout ce petit monde étant réuni dans une maison qui n'a conservé du manoir gothique qu'un porche imposant, suffisant pour nous suggérer que quelque chose d'étrange va se passer là.
L'enjeu, bien sûr, sera pour la première de préserver les seconds des troisièmes, dans une intrigue qui suit toutes les étapes classiques d'une telle ghost story : le malaise, la peur devant les incidents bizarres, le doute face à ce qu'on voit, la recherche de réponses (sur internet, on est au XXIe siècle, que diable !), la lutte enfin.
A ces trois figures tutélaires vient s'ajouter une quatrième, qui n'est pas chez Henry James mais chez bon nombre de ses épigones : celle de l'expert, qui conseillera et parfois, mais pas ici, interviendra aux côtés de la famille.
C'est généralement au moment de son apparition que l'intrigue d'une ghost story subit une petite baisse de régime, principalement en raison du côté didactique de ce type de séquences, et Dark Skies n'échappe pas à la règle (d'autant que l'expert en question en vient presque à disserter sur le film lui-même, quand il mentionne l'isolement social autant que géographique nécessaire aux extraterrestres pour arriver à leurs fins).
Ceci dit, Scott Stewart parvient habilement à masquer cet inévitable défaut, aussi bien en ponctuant la séquence d'idées visuelles qui toutes se rattachent à des moments passés ou futurs du films (suivant un mécanisme bien rôdé de setup-payoff) qu'en donnant à son expert une certaine forme de fragilité et de lassitude (qui n'est pas sans rappeler celle du héros de La Maison des damnés, le roman mal-aimé mais néanmoins passionnant de Matheson).
J'ai parlé d'habileté, et c'est bien ce qui caractérise la mise en scène du film, laquelle sait quitter quand il le faut le classique champ-contrechamp hollywoodien pour des plans plus longs, nécessaires dans un film fantastique pour recréer l'espace uni du quotidien dans lequel des silhouettes grises vont surgir, le plus souvent dans la profondeur de champ, et sans forcément que les personnages ne s'en rendent compte - ce qui donne lieux à des alternances classiques de surprise et de de suspense.
Ici, cette fracturation de l'espace (emblématique bien sûr d'une certaine division de la famille, à qui l'expert conseille de rester unie si elle veut avoir une chance de gagner) va s'exprimer aussi de façon originale sur les écrans des caméras de surveillance, que le passage des extraterrestres brouille fugitivement : la fracturation se révèle également temporelle...
Et les scènes d'épouvante ne sont pas les seules réussies du film : ainsi, par exemple, quand il veut nous faire comprendre que son héros vient de rater son entretien d'embauche, au lieu de nous faire un gros plan sur son visage défait, Scott Stewart choisit de nous le montrer de très loin, en train d'extérioriser sa rage sur sa pauvre voiture (esquissant ainsi une esthétique de la distance, beaucoup moins conscientisée bien sûr que chez un Kiyoshi Kurosawa).
Ajoutez à tout cela une fin hallucinatoire suivie, comme souvent dans les films d'épouvante (je pense au Carrie de Brian De Palma d'après Stephen King, dont la vision de l'adolescence n'est pas sans rapports avec celle qui prévaut dans ce film), d'une courte séquence qui nous laisse entendre que tout n'est pas entièrement fini, que le mal est encore là (c'est du moins comme ça que je la comprend, et pas comme l'annonce d'une suite à venir, qui, pour le coup, ruinerait certainement tout l'intérêt de ce film), et vous obtenez un bon petit film, emblématique d'une certaine tradition fantastique à défaut de la renouveler de façon frappante.
Les jugements contradictoires suscités par ce film, que Romain Le Vern, le critique de LCI-TF1 est allé jusqu'à traiter de "nanar", sont bien résumés par la bataille auquel il a donné lieu dans le dernier Mad Movies, lequel hésitait entre les notes de 2 et 4 sur 6. Un flottement qui se résout aisément, à mon sens, si l'on considère le projet esthétique qui sous-tend à l'évidence ce film.
Quiconque a déploré avec moi la mort récente du génial Richard Matheson sait que dans les années 50 la seule façon pour un écrivain fantastique de continuer à illustrer son genre favori était de changer ses monstres en mutants et ses fantômes en extraterrestres, histoire de faire des concessions à la mode de la science-fiction (ce qui, au passage, montre bien que les oeuvres qu'on affuble de ce vocable sont loin de constituer un genre : comme l'a montré Joël Malrieu dans son livre sur le fantastique, une accumulation de thèmes ne suffit pas à définir un genre).
Et c'est visiblement dans ce courant que Scott Stewart a décidé de s'inscrire, comme le montre la reprise d'un effet cinématographique qui avait fait en son temps la renommée du film de Jack Arnold It Came from Outer Space (inspiré d'un autre grand écrivain de cette période, Ray Bradbury) : filmer une scène du point de vue d'un extra-terrestre en l'accompagnant d'une musique discordante censée traduire son intériorité radicalement différente.
Une fois ôtés ces oripeaux science-fictifs (qui, a bien y réfléchir, sont d'ailleurs plus fantasmatiques que scientifiques, vu que nous ne connaissons à ce jour aucune autre espèce pensante dans l'univers, et que s'il y en a une, elle ne se présentera sûrement pas sous la forme anthropoïde et grisâtre qui est la sienne dans le film), on découvre une ghost story tout ce qu'il y a de plus jamesien - une énième variation sur Turn of Screw donc.
Tous les ingrédients sont là : une figure maternelle en crise (doublée ici d'une figure paternelle qui ne s'éclipsera pas autant que celle mise en scène dans Mama), deux enfants au destins divergents, et bien sûr des fantômes se jouant des alarmes - tout ce petit monde étant réuni dans une maison qui n'a conservé du manoir gothique qu'un porche imposant, suffisant pour nous suggérer que quelque chose d'étrange va se passer là.
L'enjeu, bien sûr, sera pour la première de préserver les seconds des troisièmes, dans une intrigue qui suit toutes les étapes classiques d'une telle ghost story : le malaise, la peur devant les incidents bizarres, le doute face à ce qu'on voit, la recherche de réponses (sur internet, on est au XXIe siècle, que diable !), la lutte enfin.
A ces trois figures tutélaires vient s'ajouter une quatrième, qui n'est pas chez Henry James mais chez bon nombre de ses épigones : celle de l'expert, qui conseillera et parfois, mais pas ici, interviendra aux côtés de la famille.
C'est généralement au moment de son apparition que l'intrigue d'une ghost story subit une petite baisse de régime, principalement en raison du côté didactique de ce type de séquences, et Dark Skies n'échappe pas à la règle (d'autant que l'expert en question en vient presque à disserter sur le film lui-même, quand il mentionne l'isolement social autant que géographique nécessaire aux extraterrestres pour arriver à leurs fins).
Ceci dit, Scott Stewart parvient habilement à masquer cet inévitable défaut, aussi bien en ponctuant la séquence d'idées visuelles qui toutes se rattachent à des moments passés ou futurs du films (suivant un mécanisme bien rôdé de setup-payoff) qu'en donnant à son expert une certaine forme de fragilité et de lassitude (qui n'est pas sans rappeler celle du héros de La Maison des damnés, le roman mal-aimé mais néanmoins passionnant de Matheson).
J'ai parlé d'habileté, et c'est bien ce qui caractérise la mise en scène du film, laquelle sait quitter quand il le faut le classique champ-contrechamp hollywoodien pour des plans plus longs, nécessaires dans un film fantastique pour recréer l'espace uni du quotidien dans lequel des silhouettes grises vont surgir, le plus souvent dans la profondeur de champ, et sans forcément que les personnages ne s'en rendent compte - ce qui donne lieux à des alternances classiques de surprise et de de suspense.
Ici, cette fracturation de l'espace (emblématique bien sûr d'une certaine division de la famille, à qui l'expert conseille de rester unie si elle veut avoir une chance de gagner) va s'exprimer aussi de façon originale sur les écrans des caméras de surveillance, que le passage des extraterrestres brouille fugitivement : la fracturation se révèle également temporelle...
Et les scènes d'épouvante ne sont pas les seules réussies du film : ainsi, par exemple, quand il veut nous faire comprendre que son héros vient de rater son entretien d'embauche, au lieu de nous faire un gros plan sur son visage défait, Scott Stewart choisit de nous le montrer de très loin, en train d'extérioriser sa rage sur sa pauvre voiture (esquissant ainsi une esthétique de la distance, beaucoup moins conscientisée bien sûr que chez un Kiyoshi Kurosawa).
Ajoutez à tout cela une fin hallucinatoire suivie, comme souvent dans les films d'épouvante (je pense au Carrie de Brian De Palma d'après Stephen King, dont la vision de l'adolescence n'est pas sans rapports avec celle qui prévaut dans ce film), d'une courte séquence qui nous laisse entendre que tout n'est pas entièrement fini, que le mal est encore là (c'est du moins comme ça que je la comprend, et pas comme l'annonce d'une suite à venir, qui, pour le coup, ruinerait certainement tout l'intérêt de ce film), et vous obtenez un bon petit film, emblématique d'une certaine tradition fantastique à défaut de la renouveler de façon frappante.