jeudi 25 avril 2013

Chroniques d'une guerre invisible

The Land of Hope de Sono Sion

Et si après l'accident de Fukushima, il y en avait eu un autre à Nagashima ? C'est sur ce postulat tout simple qu'est bâti le film de Sono Sion, et avec tout autre réalisateur on aurait pu craindre le pire - un mélodrame dégoulinant de bons sentiments ou au contraire un film militant englué dans une rhétorique convenue.

Il n'en est heureusement rien, et même si les critiques, de Nicolas Bardot sur Film de Culte à Nicolas Schaller dans le Nouvel Obs, répètent comme un mantra "Sono Sion s'assagit, Sono Sion s'assagit", il n'en est rien non plus. Bien sûr, le sujet est plus facile d'accès que celui de Guilty of Romance, mais l'esthétique, elle, reste la même, comme il est facile de le voir (et comme d'ailleurs l'a très bien vu Olivia Cooper Hadjian sur Critikat).

Comme Guilty of Romance, le film se construit sur une narration alternée. Le film suit trois couples, appartenant chacun à deux familles construites sur le même modèle (le père, la mère, le fils, la belle-fille), mais dont le destin sera différent. Il s'agit là d'un "tic" de Sono Sion, qui a avoué dans un entretien à HKMania craindre que le spectateur ne s'ennuie s'il ne multipliait pas les personnages, sur le modèle des Beatles (d'ailleurs cités dans le film).

Comme dans Guilty of Romance, ce sont les femmes (nos supérieures d'après un autre entretien du réalisateur pour EigaGogo) qui vont faire avancer l'action, en poussant, parfois malgré elle, les hommes à prendre des décisions et à agir. C'est la maladie de Chieko qui pousse son mari à ne pas quitter la zone dangereuse, c'est la phobie de la radioactivité d'Izumi (qui a le même nom que le personnage de Guilty of Romance et qui est interprétée par la même actrice) qui pousse son mari à fuir, c'est le désir de Yoko de retrouver ses parents disparus dans le tsunami qui conduit son petit ami à l'accompagner là où était jadis sa maison.

Comme dans Guilty of Romance, l'ombre de Kafka plane sur les personnages, et pas simplement parce qu'ils se trouvent confrontés à l'absurdité bureaucratique qui veut qu'ici la zone est interdite, et qu'un centimètre plus loin elle ne l'est pas (une scène intéressante, mais non déterminante). Non, le film est kafkaïen parce que les personnages se retrouvent à marcher dans leur vie comme dans un mauvais rêve - de ce pas résigné que deux mystérieux enfants rescapés du tsunami vont enseigner à Yoko.

Et cette étrangeté, comme dans Guilty of Romance, trouve une traduction visuelle dans des scènes décalées, que ce soit de façon ouvertement onirique (la métaphore des pieux employée par le beau-père d'Izumi qui trouve soudain une incarnation concrète dans le plan) ou plus subtile (Chieko croyant se rendre à la fête estivale des morts alors qu'elle marche au beau milieu d'un paysage de ruines enneigées). De ce point de vue-là, la scène la plus marquante est sans doute celle de l'hallucination d'Izumi, où ses visions alternent dans un champ contrechamp magistral avec un gros plan de ses yeux changeant de couleur au fur et à mesure que progresse l'hallucination.

Et surtout, comme dans Guilty of Romance, Sono Sion s'attache à filmer le cheminement interne de ses personnages plus que la catastrophe où ils sont plongés, et qui n'importe que par l'impact qu'elle a sur leur vie. Même si le traitement scénaristique utilise parfois des motifs classiques (le plus évident étant la reprise finale du phénomène auquel on croyait avoir définitivement échappé), The Land of Hope (au titre largement ironique) perpétue bien la manière qu'a Sono Sion de filmer "à côté" de ce qu'on attendrait.

Comme pour Guilty of Romance, on ressort donc de la salle un peu sonné et vaguement mélancolique, et l'on se surprend à marcher dans la rue sur ce nouveau rythme enseigné par le nucléaire : "ippo, ippo".




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