Mama d'Andrés Muschietti
Après le quasi-expérimental Berberian Sound Studio (sorte de De l'autre côté du miroir sonore), un autre des films en compétition au dernier festival de Gérardmer arrive en salle, auréolé de plusieurs prix (amplement mérités, on va le voir). Plus classique de facture mais pas moins intéressant, il relève du même genre que le vainqueur de l'année dernière (Babycall) : la ghost story post-Henry James (celle que pratiquent les auteurs traumatisés par Turn of Screw).
Le film semble pourtant partir au départ dans une tout autre direction, son prégénérique nous offrant une version moderne de Hansel et Gretel (le conte de fées préféré des écrivains d'horreur), ce que soulignent du reste les premiers mots du film : "once upon a time" - "il était une fois". On y voit un père quitter sa maison pour une forêt où il entend visiblement "perdre" ses deux filles et y découvrir ce qui nous semble bien être la maison d'une sorcière... Un lieu certes caractéristique d'un certain fantastique (voir The Blair Witch Project, par exemple), mais aux antipodes du manoir gothique cher à Henry James.
Sauf que les deux filles, Victoria et Lilly, vont vite quitter (en apparence seulement ?) cette cabane pour gagner un lieu plus jamesien, une maison-témoin qu'un psychologue prête à leur oncle Lucas et à sa compagne Annabel pour mieux pouvoir suivre leur développement interrompu par leur vie dans la cabane. Ce passage d'un lieu fantastique à un autre est loin d'être un artifice de scénario, cette opposition entre les deux espaces structurant tout le film, qui s'organise par ailleurs suivant un binarisme évident quoique subtil (deux maisons, deux filles, deux mères à départager).
Ajoutons que la figure paternelle de Lucas va être rapidement évacuée (taisons comment), et qu'Annabel va se retrouver seule avec ces deux filles sauvages et un fantôme - la ghost story à la Henry James peut commencer. Comme d'habitude, la subtilité sera de mise : pas de jets de sang ni de plaies béantes, juste des bleus à l'âme. Une des scènes du prégénérique est emblématique de cette esthétique minimaliste : le père de Victoria lui enlève ses lunettes, et la scène qui suit est filmée de son point de vue, si bien que comme elle nous distinguons à peine le fantôme. Là encore, cet effet n'est pas artificiel, parce que les lunettes jouent un vraie rôle dans le film, celui de lien rattachant Victoria au monde réel, celui où les fantômes n'ont pas leur place.
Le film n'hésite pas par ailleurs à nous dévoiler un peu plus du fantôme au cours du film, et ce que nous en apercevons évoque irrésistiblement une autre sorte de ghost story, celle à laquelle les cinéastes de yurei eiga nous ont habitués : une femme en robe blanche et aux longs cheveux noirs, se contorsionnant parfois au point de ressembler à une araignée humaine ou se changeant en une nuée de papillons de nuit. Le spectateur connaissant un peu le folklore japonais n'aura pas manquer du reste de remarquer que le prégénérique annonce clairement la couleur, puisque Victoria y déclare qu'elle a vu une femme dont les pieds ne touchent pas terre (autre trait caractéristique du yurei).
Et ce dévoilement progressif du fantôme est loin d'être la seule attente auquel le réalisateur nous soumet. Contrairement à ce qu'a pu écrire Noémie Luciani dans Le Monde, le film joue en effet au moins autant (si ce n'est plus) sur le suspense (l'attente déçue ou récompensée) que sur la surprise (le brusque surgissement du fantôme dans le champ ou son avancée rapide vers nous). Il exploite notamment, comme le Hitchcock de Marnie, la possibilité de diviser l'écran en deux espaces isolés par un mur, où se jouent deux scènes différentes dont on attend et appréhende à la fois qu'elles se rejoignent (ce qu'a bien remarqué Nicolas Gilli sur Filmosphère). Et même les scènes de surprise sont préparées d'une façon ou d'une autre (ne serait-ce que par l'ambiance) : ainsi, comme la première scène où Annabel rejoint Lucas au lit est éludée aussitôt, on se doute que si le cinéaste fait durer la seconde, c'est qu'il va se passer quelque chose (quelque chose de kurosawien, du reste).
On le voit, ce film en évoque irrésistiblement d'autres (et aux titres déjà évoqués, on pourrait ajouter Dark Shadows de Burton pour la falaise où se déroule la scène finale ou même Insensibles de Juan Carlos Medina pour la façon dont cette scène vire de la confrontation à la réconciliation), tout en gardant une originalité certaine, qui tient peut-être précisément à la façon dont il croise habilement ces références diverses pour les intégrer dans un ensemble cohérent.
En clair, Mama est bien plus qu'une énième variation habile sur un sujet classique - et c'est incontestablement une pierre de plus à l'édifice que bâtit peu à peu le cinéma d'horreur hispano-américain.
Après le quasi-expérimental Berberian Sound Studio (sorte de De l'autre côté du miroir sonore), un autre des films en compétition au dernier festival de Gérardmer arrive en salle, auréolé de plusieurs prix (amplement mérités, on va le voir). Plus classique de facture mais pas moins intéressant, il relève du même genre que le vainqueur de l'année dernière (Babycall) : la ghost story post-Henry James (celle que pratiquent les auteurs traumatisés par Turn of Screw).
Le film semble pourtant partir au départ dans une tout autre direction, son prégénérique nous offrant une version moderne de Hansel et Gretel (le conte de fées préféré des écrivains d'horreur), ce que soulignent du reste les premiers mots du film : "once upon a time" - "il était une fois". On y voit un père quitter sa maison pour une forêt où il entend visiblement "perdre" ses deux filles et y découvrir ce qui nous semble bien être la maison d'une sorcière... Un lieu certes caractéristique d'un certain fantastique (voir The Blair Witch Project, par exemple), mais aux antipodes du manoir gothique cher à Henry James.
Sauf que les deux filles, Victoria et Lilly, vont vite quitter (en apparence seulement ?) cette cabane pour gagner un lieu plus jamesien, une maison-témoin qu'un psychologue prête à leur oncle Lucas et à sa compagne Annabel pour mieux pouvoir suivre leur développement interrompu par leur vie dans la cabane. Ce passage d'un lieu fantastique à un autre est loin d'être un artifice de scénario, cette opposition entre les deux espaces structurant tout le film, qui s'organise par ailleurs suivant un binarisme évident quoique subtil (deux maisons, deux filles, deux mères à départager).
Ajoutons que la figure paternelle de Lucas va être rapidement évacuée (taisons comment), et qu'Annabel va se retrouver seule avec ces deux filles sauvages et un fantôme - la ghost story à la Henry James peut commencer. Comme d'habitude, la subtilité sera de mise : pas de jets de sang ni de plaies béantes, juste des bleus à l'âme. Une des scènes du prégénérique est emblématique de cette esthétique minimaliste : le père de Victoria lui enlève ses lunettes, et la scène qui suit est filmée de son point de vue, si bien que comme elle nous distinguons à peine le fantôme. Là encore, cet effet n'est pas artificiel, parce que les lunettes jouent un vraie rôle dans le film, celui de lien rattachant Victoria au monde réel, celui où les fantômes n'ont pas leur place.
Le film n'hésite pas par ailleurs à nous dévoiler un peu plus du fantôme au cours du film, et ce que nous en apercevons évoque irrésistiblement une autre sorte de ghost story, celle à laquelle les cinéastes de yurei eiga nous ont habitués : une femme en robe blanche et aux longs cheveux noirs, se contorsionnant parfois au point de ressembler à une araignée humaine ou se changeant en une nuée de papillons de nuit. Le spectateur connaissant un peu le folklore japonais n'aura pas manquer du reste de remarquer que le prégénérique annonce clairement la couleur, puisque Victoria y déclare qu'elle a vu une femme dont les pieds ne touchent pas terre (autre trait caractéristique du yurei).
Et ce dévoilement progressif du fantôme est loin d'être la seule attente auquel le réalisateur nous soumet. Contrairement à ce qu'a pu écrire Noémie Luciani dans Le Monde, le film joue en effet au moins autant (si ce n'est plus) sur le suspense (l'attente déçue ou récompensée) que sur la surprise (le brusque surgissement du fantôme dans le champ ou son avancée rapide vers nous). Il exploite notamment, comme le Hitchcock de Marnie, la possibilité de diviser l'écran en deux espaces isolés par un mur, où se jouent deux scènes différentes dont on attend et appréhende à la fois qu'elles se rejoignent (ce qu'a bien remarqué Nicolas Gilli sur Filmosphère). Et même les scènes de surprise sont préparées d'une façon ou d'une autre (ne serait-ce que par l'ambiance) : ainsi, comme la première scène où Annabel rejoint Lucas au lit est éludée aussitôt, on se doute que si le cinéaste fait durer la seconde, c'est qu'il va se passer quelque chose (quelque chose de kurosawien, du reste).
On le voit, ce film en évoque irrésistiblement d'autres (et aux titres déjà évoqués, on pourrait ajouter Dark Shadows de Burton pour la falaise où se déroule la scène finale ou même Insensibles de Juan Carlos Medina pour la façon dont cette scène vire de la confrontation à la réconciliation), tout en gardant une originalité certaine, qui tient peut-être précisément à la façon dont il croise habilement ces références diverses pour les intégrer dans un ensemble cohérent.
En clair, Mama est bien plus qu'une énième variation habile sur un sujet classique - et c'est incontestablement une pierre de plus à l'édifice que bâtit peu à peu le cinéma d'horreur hispano-américain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire