Pulp d'Ed Brubaker & Sean Phillips (& Jacob Phillips)
Dans la lignée de Criminal, Fatale ou Kill or be Killed, le duo Ed Brubaker et Sean Phillips poursuit son exploration de l'imaginaire américain, avec un titre court mais efficace, qui offre donc une bonne porte d'entrée dans leur univers.
Comme toujours avec les deux compères, l'ouvrage semble à première vue marqué par des codes graphiques classiques, mais leur façon de les employer les tire vers la modernité :
– l'usage des trois bandes par page (à la Romano Scarpa) ne s'enlise jamais dans la monotonie, grâce à un découpage aéré (il y a en moyenne 1,25 case prenant la largeur de la page par planche, un taux similaire à celui d'Automnal) et des ruptures de rythme (2 pleines pages et 4 pages présentant un médaillon sur fond noir) ;
– l'usage d'un narratif pour accompagner les cases, s'il fait très Edgar P. Jacobs, n'est pas du tout le fruit d'un narrateur anonyme comme dans la bande dessinée franco-belge classique, mais offre les commentaires rétrospectifs du "héros" sur sa propre histoire (un procédé évidemment emprunté au film noir, Boulevard du crépuscule en tête).
Le "héros" en question, Max Winters, étant auteur de pulps, son commentaire devient très vite méta-narratif : ainsi, pages 5 ("c'est une histoire compliquée... avec plus d'un début"), 22 ("c'est l'un de ces débuts que j'ai évoqués"), et 37 ("voilà un autre début pour cette histoire, je suppose"), il identifiera trois débuts possibles pour son histoire.
Cette hésitation à raconter n'est pas que rhétorique, elle cache une authentique interrogation du "héros" sur son statut (page 68, "on n'était pas des héros"), elle-même liée à l'impossibilité de discerner le bien du mal dans les périodes troubles – voire tout le temps.
Pulp repose en effet sur un constat chronologique simple : un Américain né en 1872 a pu à la fois connaître les derniers soubresauts de la conquête de l'Ouest (puisqu'il a 27 ans en 1899) et la montée du nazisme en 1939 (à 67 ans).
Comment un ancien pistolero désabusé peut-il bien réagir en voyant, fait historique peu connu, une association nazie tenir un meeting au Madison Square Garden, ou une personnalité comme Henry Ford cautionner l'antisémitisme (dès 1920) ?
A première vue, on se dit que la réponse fera de Pulp le lointain cousin de Pat Garrett et Billy le Kidd de Sam Peckinpah, ou d'Impitoyable de Clint Eastwood, ces westerns qui s'en prennent à la figure du héros loyal sans peurs et sans reproches ; mais au bout du compte, c'est aux yakuzas idéalistes de Kinji Fukusaku (Guerre des gangs à Okinawa, pour ne citer qu'un titre) que Max Winters fait penser.
Ainsi décrit, Pulp semble être le genre de bande dessinée qui, par son intelligence et sa noirceur, met à distance son lecteur ou sa lectrice, mais c'est en fait tout le contraire : grâce à de petits détails aussi bien qu'à de fréquents allers-retours entre le présent et le passé, on s'attache très vite au personnage de Max Winters, et à son destin singulier.
Graphiquement et scénaristiquement parlant, Pulp est donc tout aussi réussi et plaisant à lire que, dans un autre genre, Basketful of Heads.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire