Basketful of Heads de Joe Hill & Leomacs (& Dave Stewart)
– T'es quelqu'un de sympa. Je le vois bien.
– Ah ouais ? Tu vois ça ? Sympa comment ? Qu'est-ce qui m'a trahie ? Le moment où je t'ai dézingué les orteils ou quand je t'ai tranché la tête ?
Sans doute quelques mots sont-ils nécessaires pour contextualiser un peu le dialogue ci-dessus (page 58 du comics)...
Reprenons : tout comme Nick Harkaway, l'auteur de Gnomon, est le fils de John Le Carré, mais est bien loin de se résumer à cette épithète, Joe Hill, l'auteur de Nosfera2 ou le scénariste de Locke & Key, est le fils de Stephen King (à qui il rend d'ailleurs hommage page 14 de Basketful of Heads, j'y reviendrai), mais est bien loin de se résumer à cette épithète.
S'avisant (avec notamment le (très bon) Hérédité d'Ari Aster) que le genre horrifique connaissait un renouveau sur les écrans, Joe Hill a décidé de faire advenir le même renouveau dans les librairies de bandes dessinés (il n'est d'ailleurs pas le seul, voir par exemple, en plus tragique, Automnal).
Il a donc crée un label, Hill House Comics, et l'a initié par Basketful of Heads, mis en images par Leomacs et en couleurs par Dave Stewart, et publié l'an passé en France (je suis donc à peu près dans les temps pour vous en parler, même si j'ai déjà été précédé par Yuyine, par exemple).
Disons le d'emblée, l'objectif de Joe Hill, qui était de nous offrir "une lecture folle, complètement barrée et sans temps morts" (page 176), est parfaitement rempli ; mais cette "lecture parfaitement jubilatoire" (dixit Yuyine) dépasse le côté distrayant pour s'inscrire dans une tradition horrifique qu'il est bon de rappeler.
Le début semble pourtant nous placer dans un slasher ou un revenge movie ordinaire, avec le personnage de June, une blonde aguicheuse, dont on ne croirait pas, au vu de son franc-parler (par exemple, page 10, "je te sucerais pour faire sauter un PV"), qu'elle prépare (page 19) "une thèse sur la manière dont la honte façonne la masculinité".
Bien sûr, on devine que, comme les héroïnes du (raté) Boulevard de la mort de Quentin Tarantino ou du (réussi) Revenge de Coralie Fargeat, June, sous ses airs de bimbo, a de la ressource, et qu'elle va se révéler plus coriace que les notables corrompus qu'elle va être amenée à croiser (et surtout à décapiter) au cours du comics.
Ici, on retrouve une thématique chère à Wes Craven, qui n'aime rien tant montrer combien l'innocence apparente peut cacher de noirceur ; mais là où le cinéaste, suivant Schuy R. Weishaar (chapitre VII de Masters of the Grotesque), s'en sert pour renvoyer dos à dos la famille traditionnelle et la "famille" hippie moderne, Joe Hill, lui, s'en tient à une critique (à la hache) de l'Amérique des élites (qui rappelle parfois James Ellroy).
Dans Zoo, Vincent Savi voit donc, non sans raison, "dans l'épopée de June la revanche d'une jeune femme face à l'Amérique puritaine" ; mais tout en offrant cet exutoire jouissif, Joe Hill cherche avant tout, comme les EC Comics de jadis (dont Leomacs avoue être fan page 177), à délivrer une morale très proche de celle d'Electre de Jean Giraudoux (page 171) :
– Le soleil se lève.
– Oui, trésor. Il finit toujours par se lever.
J'ai parlé des EC Comics, qui sont aussi une référence indispensable pour comprendre le dessin très expressif de Leomacs (ah, les grimaces de June !) mais Basketful of Heads ne cherche pas le moins du monde, graphiquement parlant, à refaire de l'EC Comics.
Par exemple, le découpage est des plus modernes, avec des effets visuels bienvenus (le point de vue de la première tête coupée pages 44-45) et un recours fréquent aux cases en "scope", c'est-à-dire prenant la largeur d'une planche (2,10 par page en moyenne, ce qui inscrit clairement Basketful of Heads dans la bande dessinée "fusion" moderne).
Mieux encore, les dessins viennent renforcer l'impeccable travail scénaristique de setup-payoff, que Joe Hill ne mène donc pas que dans les dialogues : ainsi, la première pleine page du comics (page 14) n'a pas que pour rôle de faire un clin d'oeil au Maine imaginaire de Stephen King (la mention "Shawshank prison" sur le camion) ; elle doit aussi nous amener à nous poser la même question que June page 69 ("les prisonniers reconstruisaient votre muret ?")
A la jubilation de voir June abattre l'un après l'autre les symboles de l'Amérique bourgeoise des années 80 s'ajoute donc le plaisir de voir comment Joe Hill nous avait tout annoncé, absolument tout – mais que nous n'avions rien vu ou rien entendu, prenant pour de l'anecdotique ce qui se révélera capital...
Au final, Basketful of Heads tient ses promesses, et un peu plus : même si ce n'est sans doute pas un titre essentiel, c'est un divertissement aussi sympathique (et aussi tranchant) que son personnage principal.
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