mercredi 7 avril 2021

Daddy's little girl ain't a girl no more...

Big Girls de Jason Howard


Jason Howard est le dessinateur de Trees (un des projets les plus intéressants récemment initiés par Warren Ellis, avec le génial Injection). Quels fruits a-t-il retiré de cette prestigieuse collaboration ? Pour le savoir, j'ai demandé un service de presse de Big Girls, son projet personnel, aux jeunes éditions 404 Comics, qui en publient la version française.


Image, l'éditeur originel, présente la mini-série comme un croisement entre Paper Girls (un des projets les plus intéressants récemment initiés par Brian Vaughan, avec le génial Saga) et Pacific Rim (le film sans doute le plus hollywoodien de Guillermo del Toro, ce qui ne l'empêchait pas d'être passionnant).


Au premier titre, Big Girls emprunterait le rythme, mesuré sans être ennuyeux, (ainsi que l'accent mis sur des personnages féminins), et au second, la thématique du combat contre des monstres gigantesques à la Godzilla, des kaiju diront les amateurs pointilleux. Ce n'est pas si mal vu, dans la mesure où Big Girls se déroule dans un monde où des filles géantes pétries de doutes affrontent des monstres à leur taille – les monstres en question étant des garçons ayant mutés.


Ce concept de lutte des sexes paraît simpliste à première vue, mais Jason Howard va le développer de façon à en évacuer progressivement tout manichéisme (il se paye même le luxe d'un clin d'oeil à la scène finale du Black Orchid de Neil Gaiman et Dave McKean, sans doute une des premières histoires à avoir montré qu'il était possible d'écrire des comics autrement ; et il fait aussi référence à la célèbre phrase de Nietzsche sur l'abîme et les monstres, popularisée par le Watchmen d'Alan Moore et Dave Gibbons).


Pour Jason Howard en effet, le manichéisme qui s'instaure entre deux camps tient essentiellement à la présence de personnages aux opinions bien tranchées (ici, le marshall James Tannik et la hors-la-loi Joanna "Gulliver"), qui vont polariser les différences en deux blocs antagonistes plutôt que de les situer dans un même continuum et donc, à terme, de potentiellement les réconcilier (comme le rêve Emberline, l'héroïne de Big Girls). Tout ressemblance avec certains de nos dirigeants ne serait bien sûr qu'une pure coïncidence...


Evidemment, dans l'espace réduit d'une mini-série, il est fatalement difficile d'approfondir une pareille analyse politique, sans parler de la complexité psychologique des personnages (quand même étoffée par quelques flash-backs), d'autant plus que Jason Howard ne veut pas renoncer pour autant à l'humour (forcément présent avec un pareil thème) ou aux scènes spectaculaires (très réussies).


Néanmoins, l'équilibre auquel il parvient fait de Big Girls un titre solide, de ceux qui ambitionnent de renouer avec le plaisir narratif des premiers comics, sans pour autant renoncer à toute réflexion sociale (le clin d'oeil initial et final à la phrase fétiche du Spiderman de Stan Lee est donc loin d'être anodin, en sus de rappeler que, pour Jason Howard, l'enjeu n'est pas le pouvoir et la responsabilité, mais bien les solutions, petites ou grandes, à apporter aux "grands problèmes").


Comme il était prévisible, le dessin de Jason Howard est à la hauteur d'une pareille ambition, avec un découpage bigger than life qui recourt fréquemment aux cases prenant la largeur d'une page (1,66 en moyenne par planche), sans parler des classiques pleines pages. Hormis les monstres (j'y reviendrai), chacun des personnages principaux est suffisamment singularisé pour que la lecture reste fluide : normal, Jason Howard utilise le même "trait vif et sec" que dans Trees (dixit Ligne Claire).


Son travail sur la couleur est également intéressant, sans être aussi fou que celui de Lynn Varley : comme Jason Howard le dit très bien dans un entretien, il préfère à la "colorisation terne, réaliste, qui est parfois utilisée dans les bandes dessinées" une "colorisation qui privilégie la caractérisation, l'ambiance et la narration" (je traduis à ma façon). De fait, il utilise par exemple des couleurs différentes (bleu / rouge) pour séparer deux lignes narratives qu'il nous présente en parallèle, ou deux personnages (les monstres ne se distinguent guère que par la couleur de leurs excroissances, un choix de conception intéressant compte tenu de son propos).


A l'arrivée, on a, comme je l'ai déjà dit, un comics efficace, dont les problématiques (la pandémie, le sexisme) entrent parfois étonnamment en résonance avec notre société actuelle, comme quand un personnage s'écrie : "on est en train de démolir le monde à essayer de le remettre comme avant" ! A bon entendeur...



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