vendredi 11 février 2022

Un récit peut en cacher un autre

We live 1 d'Inaki & Roy Miranda (& Eva de la Cruz)


Sans doute y a-t-il peu de comics aussi surprenant que cette première saison de We live (lue en service de presse numérique) – notez qu'elle a été pensée primitivement comme une mini-série, mais qu'elle sera bientôt prolongée par une deuxième saison, vu son succès outre-atlantique.


Pourtant, d'entrée de jeu, devant "la colorisation chatoyante" à la Paper Girls (dixit Nicolas Winter), ou l'exposition archi-classique (une émission promotionnelle à la télévision), voire les flash-backs en début ou en fin d'épisode, on se dit plutôt qu'on va assister, par exemple, à une resucée de Sweet Tooth sans le trait barré de Jeff Lemire (mais avec, à la place, un dessin réaliste incroyablement maîtrisé) : le voyage d'un gamin (ici, trois, Hototo, Tala et Humbo) sous la supervision d'adultes (Simon ou Alice) vers une destination capitale pour la survie de l'humanité.


Que nenni ! comme dans un film de Pascal Laugier, la série multiplie les twists, rebattant à chaque fois les cartes de l'intrigue, et nous faisant glisser d'un récit à un autre, au point que des détails qui nous paraissaient secondaires deviennent soudainement importants (comme le dit fort justement Nicolas Winter, l'oeuvre "fait exploser à peu près toutes les barrières de genre et mixe allègrement science-fiction, super-héros, apocalypse, horreur et récit d'apprentissage").


Sans les déflorer, disons que ces retournements multiples, loin d'être gratuits, tournent tous en fait autour d'une même thématique : la non-fiabilité des adultes, qu'ils soient corrompus jusqu'à la moelle ou qu'ils aient, tout simplement, une fâcheuse tendance à disparaître – avec le reste de l'humanité.


We live rejoint ainsi l'amer constat fait par Akiyuki Nosaka (pour la nouvelle) et Isao Takahata (pour le film) dans Le Tombeau des lucioles, ou par Julian Gloag (pour le roman) et Jack Clayton (pour le film) dans Chaque soir à cinq heures ; en revanche, les Miranda s'emploient, eux, à laisser filtrer un peu de lumière dans leurs images (tout en soulignant le caractère fantasmatique, pour ne pas dire utopique de cet espoir).


Le rythme rapide de l'histoire, doublé d'un découpage dynamique, y aide (en nous empêchant de trop nous attarder sur les épisodes les plus perturbants), mais aussi les personnages d'enfants, qui pour être archétypaux (on pense par exemple à Jonna, autre titre publié par les éditions 404) n'en sont pas moins très réussis :

– Hototo, le garçon qui rêve un peu naïvement de devenir un super-héros ;

– Tala, la grande soeur chargée par sa mère mourante de veiller sur son petit frère, aussi bien physiquement que moralement ("alimente son imagination jusqu'au dernier moment") ;

– Humbo, le geek habitué à la survie par son père ("chaque lever de soleil signifie que tu n'es pas mort").


Parvenu au terme de cet étourdissant premier volume, le lecteur ou la lectrice n'a qu'une envie : découvrir la suite, en espérant qu'elle sera à la hauteur... Comme le dit si bien Brendan Allen dans sa recension du cinquième épisode (gare au spoil donc), "le fait que ces cinq chapitres soient en fait un prologue à quelque chose d'autre est plutôt astucieux, tout en étant risqué ; mais ce risque est payant."



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