mardi 14 septembre 2021

Little girls & big monsters

Jonna 1 de Chris & Laura Samnee (& Marc Wilson)


Toujours à la recherche de titres solides pour leur jeune collection de comics, les éditions 404 ont eu la bonne idée de piocher, après Image, dans le catalogue "jeunesse" d'Oni Press, l'éditeur anglo-saxon du grand Ted Naifeh (et elles ont eu la non moins bonne idée de m'adresser un service de presse du titre sélectionné, salué aussi bien par Jeff Smith que par Robert Kirkman, avec qui Chris Samnee a collaboré).


Comme Big Girls de Jason Howard, mini-série parue dans la même collection, Jonna est à première vue une histoire de kaiju, autrement dit de "monstres géants" (chapitre 3, planche 19) apparus soudainement dans un monde jusque-là paisible (avec, en prime, des "épaisses racines rouges" dont le rôle sera sans doute développé plus avant dans la série).


Outre l'orientation "jeunesse" du récit et son étendue sur (a priori) trois volumes plutôt qu'un, il y a au moins deux autres différences capitales avec Big Girls :

– même si la fin du tome 1 de Jonna (chapitre 4, planche 22) suggère que, peut-être, des opportunistes sont déjà à l'oeuvre en coulisse, l'histoire se situe, chronologiquement parlant, très près du bouleversement initial (un an après), suffisamment en tout cas pour qu'aucune structure plus organisée que des camps n'ait été créée (dit sommairement, on est plutôt, toutes proportions gardées, dans une ambiance de premier cycle de Walking Dead, errance incluse, plutôt que de cycle final, où s'affrontent plusieurs conceptions du pouvoir) ;

– l'espoir ne provient pas de filles géantes, mais au contraire d'une petite fille (l'éponyme Jonna), qui possède, sans qu'on sache encore très bien pourquoi, une force capable d'envoyer valser les fameux monstres, mais à qui les grandes déclarations du type "à grands pouvoirs, grandes responsabilités" ne parlent pas beaucoup (voir l'épisode avec les insectes des planches 1 à 3 du chapitre 3).


Ce personnage (au début seulement ?) un peu frustre mais très puissant fait évidemment écho à d'autres figures canoniques de la bande dessinée, depuis Hulk jusqu'à la Princesse Ugg de Ted Naifeh (voire One-Punch Man) ; son potentiel comique est souligné par le contraste avec sa soeur (adoptive ?) Rainbow, qui est, elle, raisonnable au point de prendre des notes quand Gor raconte son premier combat, lors d'un très réussi flash-back en ombres chinoises (chapitre 3, planche 21).


Cet humour vient bien sûr tempérer la gravité fondamentale du propos, portée justement par Rainbow : on parle bien d'un monde en ruines, où les familles ont été dispersées, et les humains, tués ou mutilés (voir par exemple la planche 14 du chapitre 1 ) – d'où la comparaison qu'effectue le site Graphic Policy avec le film Monsters de Gareth Edwards : l'accent est en effet clairement mis "sur la façon dont ces monstres géants ont impacté la civilisation humaine plutôt que sur des batailles épiques".


Ce travail d'exposition, caractéristique d'un tome de mise en place comme Jonna 1, est assuré avant tout, comme le fait remarquer le site Les Comics, par les images plutôt que par le texte, en bon "comics qui sait parfaitement quel est son médium" ; de surcroît, le dialogue interagit souvent avec un détail d'une image (j'ai déjà évoqué les ombres chinoises de la planche 21 du chapitre 3, il y a aussi la plume de la planche 16 du chapitre 3).


Avec un taux de cases en scope (c'est-à-dire de cases prenant la largeur d'une page) de 1,72 par page, le découpage de Jonna 1 s'inscrit, comme celui de Big Girls, en plein dans l'allongement des cases cher à la bande dessinée moderne, auquel il fait parfois allusion sur le plan formel, quand l'occasion s'y prête : cases en éventail à la Osamu Tezuka (planche 11-12 du chapitre 4) ; découpage vertical de 2 cases sur 3 en mode Frank Miller ou Dave McKean (planche 11, chapitre 3) ; doubles pleines pages (planches 6-7 et 10-11 du chapitre 1 ; 6-7 du chapitre 2 ; 4-5 du chapitre 3 avec en prime une démultiplication des personnages dans la même case, en mode Will Eisner ; 16-17 du chapitre 4).


Le coloriste, Marc Wilson, renforce de façon intéressante la lisibilité exemplaire de la narration visuelle de Chris Samnee, par exemple (comme le fait remarquer Graphic Policy) en choisissant de colorier en rouge (couleur du danger) la gueule du premier monstre aperçu par Jonna, vers laquelle elle bondit (telle un Jonas des temps modernes allant à la rencontre de sa baleine ?)


Au final, Jonna 1 constitue une entame de série prometteuse, qui devrait séduire, comme beaucoup de titres originellement publiés par Oni Press, bien au-delà du seul public jeunesse (auquel elle est primitivement destinée).


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