Magica [1] de Yuzuko Hoshimi
Comme les bibliothécaires sont des êtres protéiformes (autant qu'un kitsune), elles peuvent aussi bien vous conseiller un roman comme La Bibliothèque de Mount Char de Scott Hawkins qu'un manga comme Magica de Yuzuko Hoshimi – deux oeuvres que leurs couvertures respectives situent, en apparence, à des années-lumières l'une de l'autre, Aurélien Police ne me contredira pas je pense.
Toutefois, comme Yuzuko Hoshimi le souligne elle-même en postface (page 188), son manga (qui est, soit dit en passant, entièrement en couleurs, à la manière de la bande dessinée occidentale) "se situe à la frontière de plein de genres différents", un peu comme le roman de Scott Hawkins donc – même si le sous-titre de Magica choisit, non sans raison, de mettre en avant l'aspect "contes" (on n'est au fond pas loin de ce recueil de Pierre Bordage, on le verra).
Les 4 histoires dont est composé Magica sont en effet contées, dans un récit-cadre ouvrant et fermant le livre, par une créature cornue, précisément baptisée Magica (autrement dit "coeur", voir page 182), à un enfant nommé Boku – tous deux vivent dans une espèce de station spatiale, par la fenêtre de laquelle on aperçoit les étoiles (et il ne reste plus qu'eux dans l'univers, on l'apprend page 181).
Techniquement, on est donc dans un space-opera (peut-être post-apocalyptique donc) à la manière du Galaxy Express 999 du regretté Leiji Matsumoto ; mais ici, le voyageur, et le lien donc entre les 4 histoires, est "le magicien le plus inutile de l'univers" (page 6), qui passe d'une planète à une autre en quête précisément de moment emblématiques de "l'éclat de la vie" (page 5, comprenez : d'histoires), afin de les transformer en joyaux (puisque tel est son pouvoir dérisoire).
Jusqu'ici, Magica tient les promesses de sa couverture, celles de nous immerger dans un monde aux couleurs douces et chaudes (quoique, il y a beaucoup de vert aussi) et à la "rondeur enfantine" (dixit Tachan), un monde de contes de fée donc ; mais...
Comme pourrait le dire Jack Zipes, les contes de fée n'ont pas forcément été, au départ, conçus pour les enfants, loin de là (dans la lignée du Pentaméron originel de Giambattista Basile et du viol de Thalie, la future "Belle au bois dormant", par son prince charmant, les contes du "Grand Siècle" abondent en scènes violentes, comme le prouvent leurs illustrations).
De fait, les 4 vies que surprend le magicien (et dans lesquelles il joue parfois le rôle de catalyseur) sont toutes dramatiques d'une façon ou d'une autre ; et les 4 relations d'amitié nouées par les 8 protagonistes de ces "4 contes aussi beaux que cruels" (dixit Ly) ne sont pas sans accrocs :
– dans "Le Pays magnifique", où l'on ne vieillit pas en mangeant de la "chair de sirène" (page 21), comme dans la légende de Yaobikuni, l'héroïne, Ruki, va devenir amie avec son animal de compagnie (et futur festin ?), la sirène Lalaschwarz ;
– dans "La Lame du bonheur", le patron d'un restaurant, Chico, "incapable de tirer sur un être humain" (page 65) va devenir ami avec un épéiste, Nata, "incapable de tuer un animal" (page 67) :
– dans "Une utopie diabolique", "cette planète de fous où personne ne sait faire autre chose que tuer" (page 98), Pochi, un gamin "aussi effrayant qu'un dieu de la mort" (page 115) va cultiver une graine de "dévoreuse de coeur" (page 105) et obtenir une créature végétale, Tama (on pense bien sûr aux Gremlins de Joe Dante, mais en beaucoup plus mélancolique) ;
– enfin, "L'Aube du phénix" raconte l'étrange relation qui s'établit entre une mortelle et un oiseau immortel.
On l'aura compris sans peine au vu de cette description sommaire, ces 4 contes doux-amers questionnent le sens à accorder à l'existence, et plus précisément "le mécanisme de la chaîne alimentaire" (page 87), puisque dans le monde de Magica : "les insectes, les animaux, les plantes et les fleurs, l'eau et l'air, les mots et les souvenirs aussi sont vivants ! c'est en échange de toutes ces choses que nous le sommes aussi !" (page 163)
On peut évidemment nuancer cette conception bouddhiste du monde, qui veut que "vivre, cela revient à se nourrir de la vie des autres jusqu'à sa mort" (page 163), par exemple en notant, comme Pythagore, qu'une plante sans fruits se régénère, contrairement à un poulet sans tête...
Ceci dit, Magica n'en parvient pas moins, et sans lourdeur aucune, à nous faire ressentir quelque chose que l'humanité a complètement perdu de vue en ces temps de sixième extinction de masse : l'interdépendance de toutes les créatures vivantes entre elles, l'homme y compris.
Comme le dit fort bien Ly, Magica est bel et bien au final "une expérience magnifique, spéciale, poétique et onirique à la fois" – sans oublier l'aspect "philosophique" que je viens d'évoquer, bien sûr.
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