dimanche 30 avril 2023

Un coup de marteau sur la tête

Connexions de Michael Francis Flynn


Comme la Claire North du Serpent, autre titre incontournable de la célèbre collection Une-Heure Lumière, Michael Francis Flynn (qu'il ne faut surtout pas confondre avec Michael Thomas Flynn) pense visiblement que le plaisir de lecture n'est pas incompatible, au contraire, avec une narration distanciée.


Il ouvre donc (et referme de même) sa novella Connexions (Nexus en version originale) par une réflexion, digne des meilleurs zététiciens, sur les rapports (nuls, bien sûr) entre "causalité" (page 11) et corrélation (vue sous ses deux aspects de "coïncidence temporelle" et de "proximité spatiale", page 12, et incarnée, notamment page 67, dans le "coup de marteau sur la tête" qui sert de titre à cette chronique) – et les conséquences à en tirer pour l'écriture de fiction.


Puisque l'esprit est le seul coupable dans l'établissement de relations indues (un travers également connue sous le doux nom d'apophénie) entre événements concomitants dans l'espace ou le temps, les six personnages principaux de Connexions vont être :

– soit des "Orphelins du temps" (chapitres 1 et 2), comprenez des êtres que leur immortalité ou leur possession d'une machine temporelle a conduit à une solitude totale (je n'en dirai pas plus pour ne pas trop spoiler) ;

– soit des "Orphelins de l'espace" (chapitres 3 et 4), comprenez des aliens en exil (depuis fort longtemps ou tout récemment) sur notre bonne vieille Terre ;

– soit des "Orphelins de l'esprit" (chapitre 5 et 6), comprenez des êtres que leurs facultés mentales (robotiques ou télépathiques) isolent du reste de l'humanité.


De ces six personnages de solitaires, dont les rapports sont résumés dans le chapitre 7 ("Intermezzo"), deux constituent respectivement "La menace venue de l'espace" (chapitre 8) et "La menace venue du temps" (chapitre 9), contre lequel les cinq, puis les quatre, autres vont devoir lutter, avec le renfort, parfaitement justifié quoique "un peu dingue" (page 118), d'un deus ex machina, ironiquement baptisé Dace X, "un nom qui sonne futuriste autant qu'on peut le souhaiter" (page 118), mais bien sûr...


Vous avez dû le comprendre au vu de cette dernière citation, la structure implacable et quasi-kantienne (aristotélicienne pour Joseph Moore) des 9 chapitres de Connexions (on pense fugitivement à La Chose en soi d'Adam Roberts) n'empêche pas l'émotion, comique ou tragique, d'advenir – peut-être parce que ce "jury" arbitraire de 6 solitaires chargé de décider du "destin de l'humanité" (page 91), est en fait lié par des rapports plus profonds qu'un simple "entrecroisement de deux fils causals dans la ligne d'univers" (page 12).


A première vue, les personnages, un peu comme dans une tragédie racinienne, mais sur un mode plus hostile qu'amoureux, ne font que courir les uns après les autres : Annie Troy et Siddar Nagkmur après Stacey Papandreou, Jim-7 après Siddhar Nagkmur, Janet Murchison et Bruno Zendhal après Jim-7 (Annie Troy analyse d'ailleurs la fin de cette chaîne narrative page 70).


A y regarder de plus près toutefois, certains personnages vont se reconnaître (faussement) dans d'autres (Siddhar Nagkmur dans Stacey Papandreou page 21, et Stacey dans Siddhar page 28 ; Annie Troy dans Stacey page 72, quoiqu'elle s'en défende page 87), et certains éprouver de l'empathie pour d'autres (par exemple, Janet Murchinson pour Jim-7 pages 106-107) – tous ces solitaires ne rêvant, au fond, que de briser leur isolement.


La réussite de Connexions tient précisément à cela, que malgré son humour mordant et sa mécanique narrative parfaitement huilée, chacun de ses 6 personnages dépasse le trope / le cliché qu'il incarne (dixit Apophis, Feyd Rautha, le Maki ou Stéphanie Chaptal) et soit, à sa manière, attachant (oui, même Jim-7 !) – ou du moins très bien observé, au moyen de phrases efficaces (fluides dirait Apophis), mais qui ne s'interdisent pas pour autant la poésie, voyez par exemple page 26 (traduction de Jean-Daniel Brèque) :

"Son visage lui apparaît en esprit, éclusant du vin assis à une table en bois mal dégrossie. Il y a d'autres détails, mais ce souvenir est une feuille séchée et friable dans une forêt automnale."


Vous préférez l'humour à la poésie ? Aucun souci ! voyez par exemple pages 73-74 :

"Le magnat de l'immobilier ne se fait pas appeler 'Jupiter' en raison de sa ressemblance avec cette planète, même s'il est, à certains égards, une boule de gaz puants."


Dit autrement, en dépit (ou en raison même) de ses 70 ans (Nexus date de 2017, et Michael Francis Flynn, de 1947, comptez-vous-même), l'auteur manie le marteau narratif avec une adresse digne de l'Old Boy de Park Chan-Wook – nul doute que vous en serez frappé.e si votre trajectoire coïncide par hasard avec cette novella de "vraie bonne SF " (dixit Gromovar).




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire