Symposium Inc. d'Olivier Caruso
Grâce à son identité visuelle forte (merci Aurélien Police) autant qu'à ses choix pertinents de textes, la collection Une Heure-Lumière (UHL pour les aficionados) a réussi, comme chacun sait, à imposer la forme de la novella dans le paysage éditorial français.
S'il fallait, pour chipoter, lui trouver un défaut, ce serait de publier majoritairement des auteurs anglo-saxons, et de s'en tenir, pour les francophones, à des "auteurs qui font depuis longtemps partie du paysage des littératures francophones de genre" (dixit Hilaire Alrune), par exemple Laurent Kloetzer avec Issa Elohim.
Olivier Caruso est l'heureuse exception à cette triste règle, puisqu'il était jusqu'ici connu pour une vingtaine de "petits objets dans lesquels chaque mot doit être à sa place" (dixit l'auteur lui-même dans cet entretien), autrement dit de nouvelles, non reprises en recueil (un futur défi pour Le Bélial', sans doute).
Du nouvelliste, il a visiblement gardé la bonne habitude de construire ses textes au cordeau, s'offrant par exemple ici une manière d'antépiphore : la scène initiale de Symposium Inc sera plus ou moins reprise (et modifiée) par la scène finale – une technique idéale pour un polar futuriste, où un événement peut toujours en cacher un autre.
En effet, Symposium Inc. est très clairement un polar de type "bataille judiciaire", comme Michael Connelly nous en a offert avec, par exemple, La Défense Lincoln ; simplement, ici, le polar se déroule dans un futur proche, tout comme le Tiger d'Eric Richer, mais avec cette spécificité qu'ici les nouvelles technologies évoquées sont au coeur de l'intrigue, et non à sa périphérie.
Derrière cet enjeu scientifique gît, comme souvent dans la bonne littérature de genre, un enjeu plus philosophique, lui : celui du bonheur. Ce n'est pas un hasard si le personnage principal, celui de l'enquêtrice (ici, une avocate, Amélie Lua) est alcoolique et nostalgique d'une histoire d'amour avortée...
Histoire de donner une forme palpable à ce mal de vivre, Olivier Caruso s'offre le luxe de faire référence à la célèbre scène d'ouverture de Rebel Without a Cause (du grand Nicholas Ray), où un James Dean ivre s'amuse avec un jouet mécanique représentant un singe.
Ce singe sera d'abord, dans Symposium Inc., une métaphore, trahissant l'addiction d'Amélie à l'alcool ("un petit singe en costume de clown tambourine dans sa tête", page 19, avec notamment un travail sonore sur les dentales, T, D, N), avant de devenir (page 35) un strap, qu'elle porte à son sac, et avec lequel elle joue, à l'occasion.
Autre bonne habitude de nouvelliste, Olivier Caruso va structurer son texte autour de cette image récurrente de singe, ainsi que d'une autre figure animale forte : l'araignée, matérialisation du kyste arachnoïde qui ronge le cerveau de l'accusée, Rebecca Bertrand, et qui donc influe peut-être sur son destin, en mode Phineas Cage ("cas célèbre de la littérature" sur le lobe temporal, explicitement cité page 83).
Pour conter cet affrontement, qui est aussi celui entre deux conceptions du monde, Olivier Caruso adopte un style sobre mais travaillé (au-delà de "la structure sujet, verbe, complément" auquel Feyd Rautha le réduit peut-être un peu rapidement) : s'il privilégie la phrase brève, c'est pour mieux faire ressortir ce qui doit l'être, à l'occasion, par une phrase longue.
Un exemple (page 71), à propos d'un détail qui n'a l'air de rien, mais se révélera signifiant par la suite ? "Un flot de minuscules robots s'échappe de la tranche de l'ordinateur. Ils se lancent sur le bras de Rodolphe, se divisent en unités plus petites encore, se divisent encore, pour ne plus être qu'un grouillement grisâtre qui monte sur son épaule, son cou, s'infiltre par sa narine."
De façon similaire, le repas de "CSP+ rive droite" que s'offre Stéphane Bertrand page 77 n'est pas là pour conférer à l'histoire un vernis de "film français", comme le pense un peu vite Gromovar (du reste, comme on l'a vu, les références d'Olivier Caruso sont clairement américaines) : lu avec le recul que confère la page 115, il trahit une volonté affichée d'interpeller (sinon plus) Amélie Lua...
A l'opposition entre singe et araignée se superpose en effet très vite une opposition entre ces deux personnages, cristallisée par leur passé commun, mais pas seulement.
Olivier Caruso alterne d'ailleurs ouvertement entre les points de vue de Stéphane et d'Amélie (exposés à la troisième personne, ce qui lui laisse de la marge pour nous cacher des petites choses par-ci par-là), il va même jusqu'à les faire se chevaucher en deux occasions au moins, non sans humour (pages 85-96 et 145).
Comme le remarque fort bien Feyd Rautha, un troisième point de vue vient, par intermittence, et toujours entre parenthèses, s'ajouter à ces deux-là : les commentaires laissées sur le réseau social du futur, Neutrans, où ils sont d'autant plus visibles qu'ils procurent plus de dopamine à leurs lecteurs...
Dans un monde pareil, quel serait la place d'un texte comme Symposium Inc. ? Importante, sans doute, vu que cette novella sait nous tenir en haleine jusqu'à sa dernière page, tout en questionnant notre rapport (malsain) à la technologie.
Au final donc, avec sa "SF à hauteur humaine" (suivant son expression), Olivier Caruso parvient à prendre de façon convaincante sa place au milieu des autres étoiles de la galaxie UHL.
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