dimanche 7 janvier 2024

Prison SF super cheloue

The Nice House on the Lake 2 de James Tynion IV & Alvaro Martinez Bueno (& Jordie Bellaire)


A propos du premier tome de The Nice House on the Lake, j'écrivais notamment que la "prison SF super cheloue" (tome 2 page 112) ou le "petit paradis bidon" (tome 2 page 56) où se voyaient enfermés les personnages avait tout d'un manoir de whodunit – mais un whodunit inversé, où il s'agirait de sauver plutôt qu'assassiner les convives, en raison de leur importance symbolique.


Le tome 2 confirme d'ailleurs que la tâche de Walter était bien de réunir "dix êtres humains exceptionnels, incarnant différentes facettes fondamentales de l'humanité" (page 115) – ce qui, en rajoutant l'invité-surprise du tome 1, porte à 12 le nombre de protagonistes, soit autant que d'épisodes dans ce premier cycle (sans surprise, chaque épisode de ce tome 2 est donc, comme le tome 1, placé sous le patronage d'un personnage, en finissant par Walter).


Ceci dit, James Tynion IV va donner clairement dans le tome 2 un sens politique à cette assemblée, en écho aux livres comme Sa majesté des Mouches ou Le Berceau du chat qui figuraient dans la bibliothèque du tome 1 ; plus précisément me semble-t-il, il va faire de ses personnages des représentants de cette élite qui regarde ailleurs pendant que dehors le monde brûle (ici littéralement) – à sa décharge, la figure de dictateur bienveillant (de "meneur", page 52) qu'est Walter les maintient sciemment dans l'ignorance.


Je ne surinterprète pas, plusieurs déclarations des personnages vont dans le sens de cette lecture politique de The Nice House on the Lake (dont le tome 2 va donc bien plus loin pour moi qu'un simple "drame de potes", comme l'appelle Guillaume Regourd):

– c'est d'abord la façon dont Molly qualifie (page 5, depuis un futur qui se verra sans doute dans le tome 3) les efforts jadis faits par Walter et elle pour réconcilier Norah et Ronnie, "une sorte de diplomatie parallèle" ;

– c'est ensuite la remarque que fait Arturo (page 68, depuis le même futur) à propos de la façon dont Walter intervenait dans la vie de Sam, "c'était une question de pouvoir avant tout" ;

– c'est enfin le message que Norah adresse à Ryan pages 80-81, "il veut qu'on l'aime il essaie de nous contrôler mais on peut lutter".


Mieux, un thème classique du whodunit, la pièce secrète derrière un miroir sans tain (vue par exemple dans le film de Franju Pleins feux sur l'assassin), est ici utilisé, exactement comme dans le film La Cara oculta d'Andrés Baiz (où il représentait autant l'impensé des dictatures que la noirceur caché de l'âme humaine), pour symboliser tout ce que Walter dissimule à ses convives (à commencer dans ce tome par Norah).


Notez au passage que ce motif des coulisses et/ou de l'autre côté du miroir fait aussi référence à Lewis Carroll (et au-delà au complotisme, qui adore s'en revendiquer, voir The Department of Truth du même scénariste), tout comme le personnage de Reg fera référence (page 169) au Magicien d'Oz de Lyman Frank Baum, autre fable politique :

"Vous vous doutez bien qu'on n'est pas dans le Wisconsin, j'espère ?"


Exactement comme dans Le Château des animaux (la relecture de La Ferme des animaux d'Orwell par Xavier Dorison & Félix Delep) ou tout simplement comme dans la vraie vie (la fin de la dictature de Pinochet), la situation politique ne se décantera que quand le dictateur, Walter, acceptera de se soumettre à une "décision" collective (page 144), autrement dit un vote (voir page 176).


Ce dénouement démocratique est toutefois en trompe-l'oeil, et pas seulement parce que d'autres épreuves (annoncées par les flash-forward sur fond rouge en tête de chapitres) attendent les protagonistes dans le prochain cycle (voir aussi l'avertissement page 186, "cette vie, ils allaient devoir la défendre") : il subsiste en effet un secret essentiel, soigneusement gardé par la personne même qui était à la pointe de la résistance contre Walter – comme si aucune société saine ne pouvait se bâtir sans mensonges...


Tout ceci (toujours aussi magistralement servi par la ligne trouble d'Alvaro Martinez Bueno et les monochromes de Jordie Bellaire) promet d'intéressants développements pour les futurs tomes, même si ce premier cycle pourrait tout aussi bien se suffire à lui-même (c'était d'ailleurs, sauf erreur de ma part, le projet initial de James Tynion IV).




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire